Qui a piqué mon Papier toilette ? Partie 1
Rumeurs, influence et manipulation !
Dans cet article, je vous propose d’analyser ce qui s’est passé ces dernières semaines dans les comportements irrationnels de certains consommateurs. Notamment avec le papier toilette.
En effet, plusieurs personnes se sont ruées sur le papier toilette et des images de rayons vides ont circulées dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il y a même eu une sorte de pénurie. Afin d’analyser ce qui s’est passé, nous allons commencer par parler de l’influence et ensuite, dans un autre article, de la rumeur.
Influence et manipulation !
Du point de vue de l’influence, Robert Cialdini, auteur du livre « Influence et manipulation », met en évidence les facteurs qui jouent sur la prise de décision des individus. Qu’est-ce qui influence les prises de décision des individus ? Comment sont-ils parfois manipulés.
La différence entre l’influence et la manipulation est fondamentale.
L’influence positive induit un gain pour tout le monde alors que la manipulation se fait au détriment de la personne manipulée. Dans la manipulation, la personne se rend compte, généralement trop tard, qu’elle est victime d’une autre personne qui se sert d’elle pour servir ses intérêts propres.
Le cours que je donne à la VUB pour la Brussels Diplomatic Academy s’intitule d’ailleurs. « The art of influencing, persuading and convincing with integrity. » (voir CV Xavier Teichmann)
Durant ses recherches, Robert Cialdini a trouvé 6 différents facteurs qui jouent sur la prise de décision des individus. S’ils ne sont pas toujours présents en même temps, ces facteurs influencent notre comportement et nous poussent parfois à prendre des décisions malgré nous. « Le cœur a ses raisons que la raison ignore », écrivait Pascal. Ici, nous pourrions écrire que nos comportements sont mus par des principes que notre raison ignore. Ces principes, les voici :
- La réciprocité
- La rareté
- L’autorité
- La sympathie
- L’engagement et la cohérence
- La preuve sociale
À noter que dans ses recherches, Robert Cialdini parle de l’influence que d’autres exercent consciemment sur les individus. Dans le cas qui nous occupe, nous allons voir qu’il ne faut pas spécialement une intention consciente pour que les comportements soient influencés.
En effet, les comportements engendrés sont inconscients et seule l’analyse individuelle de ce comportement et de ces conséquences sur les autres permet de prendre ses responsabilités consciemment. J’y reviendrai dans un exemple plus concret par la suite.
Je ne vais pas m’attarder ici sur les 6 facteurs de manière exhaustive, mais plutôt sur les quatre qui ont joué sur et influencé le comportement des consommateurs ces dernières semaines. Et surtout, ce qui s’est passé avec le fameux papier toilette dans nos régions.
Le premier facteur qui est entré en ligne de compte, c’est le principe d’autorité.
Comment ça fonctionne ? C’est très simple. Ce principe indique qu’une personne en blouse blanche aura une grande influence quand il s’agit de parler de santé. C’est l’exemple typique du dentiste dans les publicités pour les dentifrices. Il fait figure d’autorité, donc on l’écoute.
Mais ici, pas de blouse blanche me direz-vous. En effet, pas de blouse blanche et pourtant, plusieurs scientifiques, à l’époque, ont émis la probabilité d’un confinement pour « lisser la courbe » de contagion. Ce confinement, on le vit maintenant.
Et sur ce, quelques personnes ayant du charisme dans leurs cercles respectifs, en Australie (ils y ont donc autorité ils y sont vus comme des « leaders ») ont émis l’idée, mais sous forme de blague que si l’on était confiné, on ne pouvait plus aller faire de courses et que si l’on ne pouvait plus faire de courses, on ne pourrait plus acheter de papier toilette… Certains expliquaient même ça en raison de la matière première venant de Chine pour fabriquer le précieux papier… (cet élément reste à vérifier)
Ceci est la première pépite à avoir influencé le comportement des consommateurs qui se sont dès lors, pour certains, se trouvant dans la zone d’influence — d’autorité — de celui qui « blaguait », rués sur le papier toilette dans les supermarchés.
Le deuxième facteur qui est entré en ligne de compte, c’est le principe de rareté.
Laurent Wybauw, Business Partner chez Oxymore Company et qui a une grande expérience en tant que « Sales » dans l’industrie du papier me rappelait à juste titre que le papier toilette, c’est beaucoup d’air, ça prend de la place et ça n’a pas une valeur ajoutée de fou, non plus…
Mais, comme il le dit, ça prend de la place. Et comme ça prend de la place, il suffit que quelques paquets soient achetés et le rayon mal réassorti pour que les personnes y voient une pénurie. Et donc de la rareté et d’office provoquer l’envie… l’envie d’en acheter.
Cette rareté influence terriblement le comportement.
Voici un exemple concret me concernant :
Je faisais mes courses et j’avais besoin d’un aliment surgelé.
En ouvrant le frigo, je vois qu’il ne reste que deux paquets.
Je n’en ai besoin que d’un seul. Eh bien, comme il n’en restait que deux, inconsciemment, je me suis posé la question de prendre les deux…
En analysant la situation, c’est-à-dire en réfléchissant 2 secondes à mon comportement et à ce que je m’apprêtais à faire je n’en ai pris qu’un seul. Celui dont j’avais besoin.
Mais automatiquement, en voyant qu’il n’en reste pas beaucoup, on a envie de prendre ce qui reste parce que « l’on ne sait jamais ». En réfléchissant, on se dit que si l’on prend les deux restants, on prive d’office une personne de ce produit alors que l’on n’en a pas besoin de plus.
C’est ce comportement qui fait que les rayons se vident. Il ne reste pas beaucoup de produits puisqu’il y a beaucoup de clients. Ces clients prennent plus que d’habitude ! Les rayons ne sont pas aussi bien réassortis que d’habitude et c’est l’effet boule de neige.
Le troisième facteur qui est entré en ligne de compte, c’est le principe de la preuve sociale.
C’est justement cet effet boule de neige qui joue. Le panurgisme… le fait de se conformer aux comportements des autres. Les autres le font, donc c’est que c’est bon. Il y a du monde dans ce restaurant, c’est que ça doit être bien. Le « troupeau » a une grande influence sur l’individu. Même si ce dernier se pense différent, indépendant et non suiveur, il est, malgré lui soumis à la loi du groupe. C’est d’ailleurs aussi là-dessus que mise la publicité grand public entre autres.
Un autre exemple concret pour bien comprendre :
Début mars, en faisant ses courses, un ami constate que le rayon pâtes est quasiment vide. Il photographie le rayon et le paquet qu’il vient d’acheter et envoie la photo à sa femme en lui disant que les enfants peuvent être contents d’avoir leur spaghetti ce midi parce que ce n’était pas gagné d’avance. Bref, rien de bien important.
Sa femme reçoit ce message à la fin d’une réunion et montre la photo à 4 collègues.
Sur ce, deux de ses collègues quittent le travail pour aller acheter des pâtes…
Cette histoire vraie montre les mécanismes qui nous influencent. Si les autres se précipitent sur les pâtes, c’est qu’il faut faire de même.
C’est ce qui s’est également passé avec le papier toilette.
Le quatrième facteur qui est entré en ligne de compte, c’est le principe de cohérence.
En effet, une fois qu’une personne commence à adopter un tel comportement, il est difficile pour elle de se remettre en question et de changer pour plus de rationalité. Au contraire, elle aura tendance à voir autour d’elle tout ce qui s’y passe selon son prisme et donc, toute information qui amène de l’eau au moulin de la justification de son comportement sera bienvenue alors que les informations pouvant mettre la cohérence de son comportement à mal seront systématiquement ignorées. C’est également ce que l’on retrouve comme mécanisme chez les personnes bercées par une idéologie ou les personnes fortement militante d’une cause.
En fait, elles s’enferment dans un cercle vicieux.
Ça, ce sont les mécanismes qui influencent le comportement selon la lecture des théories sur l’influence et la manipulation. Dans la partie 2, nous parlerons de la rumeur. Mais voyons d’abord ceci en image. Et allons un peu plus loin…
Analysons ça en image :
L’influence et le cercle vicieux en dessin
Nous voyons, sur l’image ci-dessous ce que nous venons d’expliquer sur les facteurs d’influence.
Ici, on voit bien que si l’on ne prend pas le recul nécessaire pour réfléchir, on va boucler et se retrouver dans un cercle vicieux. On est dans l’émotionnel et la seule façon de sortir de la boucle c’est de retourner dans le rationnel. Comment faire ça ? Tout simplement en se posant une question. Lorsque l’on se pose une question, on s’oblige à réfléchir, et donc, à raisonner.
Pourquoi le stock impulsif ?
Dans cette image, nous voyons que la perception forte de rareté et la perception forte de nécessité projettent les personnes dans la case « Stock impulsif ». On ne réfléchit plus, on stocke ! Qu’est-ce qui donne la perception de nécessité ? La pyramide des besoins de Maslow et le système de valeur des personnes. Ici, nous sommes dans une crise sanitaire. La valeur de propreté remonte très certainement à la surface et donc le papier hygiénique est associé à cette valeur. Besoins primaires (pâtes, sucre, riz,…) Valeurs primaires (papier toilette, gels hydroalcooliques, masques…)
Dans ce qui nous arrive, on voit que la perception de rareté est amplifiée par l’autorité, le visuel des rayons vides et le panurgisme qui amènent de la cohérence dans le comportement de faire du stock.
Les conséquences :
Cette dynamique amène à la situation où la rareté pourrait devenir réelle. Ce qui amène certains individus se trouvant dans la case « Stock impulsif » à des comportements indignes comme des combats, des pillages et une dégradation du lien social. On pourrait arriver à des situations où règne la loi du plus fort. À des situations de gangs où les « suiveurs » pour s’assurer un avenir et combler leurs besoins primaires prêtent allégeance aux plus forts.
Pour éviter ça il y a la régulation des personnes qui réfléchissent et agissent dans la dignité et puis, il y a les mesures qu’un gouvernement doit prendre et la communication qui va avec. Le gouvernement doit communiquer :
- Et rassurer sur l’état du stock
- Sur la situation réelle de ce qui est en train de se passer pour isoler et marginaliser les comportements indignes
- De nouvelles règles et mesures qui seront prises
- Au sujet d’un nouveau processus (ici, confinement et timing de 30 minutes pour faire les courses)
- Sur l’avancement de la situation et montrer en quoi les mesures amènent un plus.
On voit que c’est ce qui est fait et ça, c’est rassurant. Maintenant, il faut s’assurer que la communication soit bien relayée par les médias et qu’elle soit bien comprise. Ce qui, lors d’une crise, n’est pas toujours évident.
La suite arrive bientôt dans : Qui a piqué mon papier toilette ? Partie 2.
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